Beauty-Tech : un contrôle personnel plus étroit sur nos routines beauté ?

La technologie de beauté à domicile :  un contrôle personnel plus étroit sur nos routines de vie beauté ?

L’univers de la beauté connait un nouveau tournant — à l’heure de la pandémie actuelle, les professionnels de l’esthétique s’invitent (virtuellement) chez vous. Après avoir envahit le secteur du fitness et du bien-être, les traqueurs de données s’attaquent désormais à celles de notre type de peau. Si certaines applications permettent d’analyser les statistiques d’efforts sportifs réalisés, d’autres nous permettront de suivre de près la santé de notre peau ainsi que ses variations et tout cela, dans un objectif commercial : celui de trouver les meilleurs produits beautés adaptés. 

La génération Z fait l’expérience du numérique sous tous ses aspects et si l’intelligence artificielle présente bon nombre d’avantages et de solutions innovantes, elle a tout de même systématiquement pour limites les enjeux de la vie privée des individus. Chez Gerrish Legal, nous avons beaucoup d'expérience dans le conseil aux entreprises travaillant avec l'IA et la technologie de réalité augmentée et nous avons voulu partager nos idées pour concilier les algorithmes de pointe avec le droit à la vie privée. 

Quelles sont les promesses de ces technologies de beauté à domicile ?

C’est suite au confinement dans de nombreux pays que le boom de ces technologies a eu lieu. Désormais, tous les conseils beautés se font en ligne et les magasins proposent de récupérer les produits conseillés avec leur système de « click & collect » ou de se les faire livrer. D’après une étude mondiale réalisée sur les consommateurs quant au retour dans les magasins, les français s’avèrent être les plus confiants puisque 77% ont fréquenté à nouveau les commerces « non-essentiels ». Néanmoins, les anglais et américains sont plus frileux puisque 50% et 40% respectivement d’entre eux favorisent le e-commerce. C’est dans cette atmosphère que les grandes marques de beauté se sont saisies de l’opportunité du conseil virtuel par le biais d’appareils qui utilisent une approche mixte de matériel et de logiciel, afin de pallier à l'impossibilité de rencontrer leurs clients dans les magasins. 

Ainsi, par le biais d’applications ou d’appareils physiques, les marques de beauté proposent à leurs consommateurs un suivi plus approfondi puisqu’elles pourront analyser et contrôler leurs routines beauté et l’adapter en conséquence. Les marques s’engagent à garantir la santé de notre peau en vérifiant l’efficacité en temps réel des produits suggérés. Selon Jenni Middleton, directrice de la beauté chez WGSN, et spécialiste des tendances : « C'est ainsi que vous savez que vous faites les choses correctement et c'est ainsi que vous vous motivez à maintenir de bonnes habitudes ». 


À titre d’exemple, sont attendus sur le marché cette année : l’Oréal, qui a récemment racheté ModiFace, un logiciel de réalité augmentée, qui permet aux utilisateurs de bénéficier d’une expérience de maquillage basée sur cette technologie. Pouvoir essayer un produit avant de l’acheter, devrait permettre de booster les ventes répondant à un réel besoin. Ou encore, l'application NAIA Skin360 de Neutrogena, lancée avant la pandémie a pour but d’analyser la peau des utilisateurs avec une caméra de smartphone et vous propose ensuite une routine personnalisée et assure un suivi des progrès de la peau. Cette application est promue comme la solution à l’accès limité aux conseils dermatologiques d’experts souvent overbookés et d’autant plus en ces temps-ci. 


Comment une telle technologie fonctionne-t-elle ?

Si parfois un simple seflie permet d’obtenir la routine soin idéale - est notamment le cas des marques Vichy ou Hello Ava vous proposent un diagnostic dermatologique 100% personnalisé, réalisé à l’aide d’un simple selfie - rien n’est magique et c’est la récolte de données personnelles sensibles qui sera à l’initiative du résultat, puisque bien entendu, le but étant que celui-ci corresponde au mieux à votre profil. 


Ces solutions découlent en réalité des assemblages « sur mesure » de plusieurs briques logicielles (appelées algorithmes) correspondant à un besoin spécifique et donc ayant fait l’objet d’un paramétrage spécifique. Le processus consiste à identifier l'importance du problème/objectif, analyser les situations passées et étudier toutes les variables possibles liées au problèmes. Ensuite, grâce à un système de statistiques, sera prédit le résultat   toujours à partir de données connues et une fois que le système a toutes les données, il fournit la solution la plus réaliste. Ainsi, l’IA apprend à résoudre automatiquement, dans le futur, un problème semblable. Pour ce faire, les algorithmes doivent être alimentés avec des données précises telles que votre type de peau, votre couleur de peau, voir même vos antécédents médicaux pour appréhender des solutions sur le long terme. 

Tel est l’objectif marketing de la marque Estée Lauder qui a investi dans la technologie numérique : son partenariat avec l'agence de technologie créative Rehab envisage une expérience de soin de la peau via WhatsApp. « Liv » un chatbot basé sur l’IA aide les utilisateurs à créer une routine de soins de la peau personnalisée et à s’y tenir. 

Quelles sont les problématiques sous-jacentes ?

En ayant recours à ces technologies les utilisateurs transmettront leurs données personnelles aux fournisseurs de ladite technologie, ainsi qu'à leurs sous-traitants et partenaires. Néanmoins, il ne s’agit pas de n’importe quelles données de contacts habituelles, il s’agit de données sensibles en ce qu'elles touchent à votre santé et origine ethnique. Si leur récole est justifiée par les marques comme étant nécessaire pour fournir un produit 100% adapté, celles-ci auront connaissance de certaines données médicales que vous avez consenti à fournir, ainsi que des informations sur votre couleur de peau laissant deviner votre origine raciale ou ethnique. Les données personnelles sensibles sont protégées par l’article 9 du RGPD qui prohibe la récolte de telles données, à moins que vous ayez donné votre consentement préalablement. Il faut être vigilant car certains Etats membres peuvent contraindre ou limiter une telle récolte quand sont en jeu des données génétiques, des données biométriques ou des données concernant la santé.

Une illustration flagrante serait celle de La Roche-Posay avec son application Effaclar Spotscan, qui se concentre sur une analyse des peaux à tendance acnéique et possède le capteur My Skin Track UV permettant de mesurer l’exposition de celle-ci aux UV, à la pollution et aux pollens.

Dès lors, il faut bien avoir conscience des finalités auxquelles vous vous exposez en consentant à l’utilisation de telles données sensibles. Notamment, il faut appréhender le fait que vos données pourraient être utilisées au profit d’outils existants de prévision des tendances ou utilisées pour le développement de certains produits par la marque en question. Vos données peuvent être partagées entre les différents collaborateurs, revendeurs et sous-traitants de la marque. Il incombe alors au responsable du traitement des données de vous informer à travers notamment sa politique de confidentialité qui devrait être transparente et mentionner précisément les différents modes de traitements de vos données et prévoir un régime de responsabilité conséquent. 

Un des nombreux autres risques existants concerne le biais des données. En d’autres termes, c’est lorsqu’il y a eu une distorsion des données par la technologie automatisée. En particulier, cela peut aboutir à une réelle discrimination algorithmique définie comme le traitement défavorable ou inégal, en comparaison à d’autres personnes ou d’autres situations égales ou similaires, fondé sur un motif expressément prohibé par la loi.

Ceci va de paire avec une deuxième facette du risque-algorithmique : celle liée à la maîtrise de tous les aspects de la vie d’un individu, de la régulation de l’information à destination des investisseurs jusqu’à ses habitudes alimentaires, ses hobbies, ou encore son état de santé. Ce traçage de l’individu laisse présager l’emprise d’une forme de surveillance qui contrevient à l’essence même de la liberté de l’individu.

Quelle responsabilité pour l’IA en matière civile ?

La responsabilité civile impose que chacun réponde de ses actes. Néanmoins, à l’heure actuelle aucun régime propre à l’IA ne semble avoir son siège dans le Code civil. L’IA apparaît pourtant pouvoir devenir autonome et dés lors, son développement pourrait ne plus résulter du seul programme initialement prévu. De surcroît, contrairement aux personnes physiques ou morales, les intelligences artificielles ne possèdent aucune personnalité juridique, ce qui interdit dans la législation actuelle, toute possibilité d'indemnisation du dommage par l’IA qui est dépourvue d’un quelconque patrimoine.

C'est dans ce cadre que de nombreux experts et le Parlement européen, se posent la question de créer une personnalité juridique propre aux robots, nommée : personnalité électronique. Le Parlement européen évoquait l’idée que les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être dotés d'un statut de personnes électroniques responsables de réparer tout dommage qu'ils pourraient causer, et éventuellement appliquer ce régime lorsque ces derniers prennent indépendamment des décisions autonomes ou interagissent autrement avec des tiers. 

De nombreuses autres solutions ont été évoquées : un régime de responsabilité sans faute, un régime de partage de la responsabilité entre le concepteur, l'utilisateur et le fabricant. Pour le moment, seule la responsabilité du responsable du traitement des données et celle du responsable d’un programme d’IA peut être engagée. Alors une chose est inévitable : le législateur va devoir s’adapter à l’aire numérique à laquelle nous faisons face et ainsi créer un système de responsabilité civile propre aux robots. Une telle création pourrait booster les constructeurs à perfectionner des systèmes d’AI qui demeureraient plus fiables et davantage contrôlables. 

Quelles perspectives pour notre ère numérique ?

L’intelligence artificielle fait partie désormais intégrante de nos vies. Nous venons dans rendre compte, elle surveille notre quotidien de près, que ce soit par l’analyse des kilomètres parcourus en une journée ou celle de notre teint pour obtenir le cosmétique idéal. Cette nécessité de personnalisation et de sur-mesure a nourri le développement de ces technologies, pourtant au coeur de nombreuses préoccupations en matière de droit à la vie privée. Il faut garder à l’esprit que ce sont des défis purement économiques qui viennent tenter de justifier les atteintes portées à nos libertés. Tout l’enjeu étant finalement de concilier liberté d'innovation et libertés fondamentales. 

C’est en cela que le RGPD demeure le garant de nos droits, en nous offrant notamment la possibilité de nous rétracter de notre consentement au traitement, ou encore d’exiger l’effacement de nos données. Ainsi, tout repose sur ces responsables du traitement des données qui devront concilier nos droits avec leurs objectifs commerciaux. Notons pour finir que les amendes prononcées par la CNIL récemment à l’encontre de multinationales devraient être dissuasives et permettent une piqûre de rappel. 

Si vous avez des questions concernant la vie privée, l'intelligence artificielle ou les technologies automatisées, n'hésitez pas à nous contacter ! De même, faites-nous savoir ce que vous inspire la technologie de beauté à domicile ! 


Article rédigé par Manon Coste @ Gerrish Legal, novembre 2020 / Photo de couverture : Manu Camargo sur Unsplash

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