PARTIE 2 : E-commerce - Imprévision, Covid-19 et vos Contrats

L’e-commerce est un élément essentiel de notre économie et une énorme source d’emplois.

Il est clair que la pandémie de Covid-19 a changé de manière spectaculaire le mode de fonctionnement de nombreuses entreprises. Les employés de bureau ont été confinés chez eux, les bars ont servi leurs derniers apéros, et les magasins non essentiels ont été priés de fermer. Les conséquences du Covid-19 n’en créent pas moins des difficultés financières pour beaucoup de ceux qui opèrent dans le commerce en général, et notamment pour les boutiques en ligne.

Au moment d’écrire cet article, la demande au détail avait chuté de 86% (avec une baisse de 74% de la demande en ligne) selon le suivi en direct par Amperity du comportement des consommateurs de 100 marques de détail nord-américaines. 

Dans notre premier article de ce série, nous avons abordé l’application de la force majeure à vos obligations contractuelles en matière d’e-commerce. Cet article, la deuxième et dernière partie de ce série, traite l’application de la théorie de l’imprévision à vos contrats dans le cadre de la pandémie Covid-19.

L’application de l’imprévision à vos relations contractuelles.

Selon l’analyse de notre premier article dans ce série, il serait difficile pour les acteurs de l’e-commerce d’invoquer la pandémie de Covid-19 comme étant un événement de force majeure (sous réserve, bien-sûr, d’une étude de toutes les circonstances y applicables).

Néanmoins, pour ceux qui rencontrent des difficultés liées à l’exécution des obligations contractuelles à cause du Covid-19, mais pour qui la force majeure ne s’appliquera pas, ces derniers pourraient néanmoins compter sur la théorie de l’imprévision pour trouver une solution - sous réserve de la formulation du contrat applicable.

Lorsqu’elle elle n’a pas été expressément exclue d’un contrat, l’avantage de l’imprévision est qu’elle pourrait offrir une protection plus large à une partie rencontrant des difficultés dans l’exécution d’un contrat - lorsque cette exécution est devenue excessivement onéreuse (mais pas impossible - critère pour pouvoir bénéficier de l’application de force majeure, tel que discuté dans notre premier article de ce série).

Le concept d’imprévision n’a été formellement ajouté au Code civil que lors de la grande réforme de 2016 (la première fois qu’une telle réforme a eu lieu depuis la création du Code civil en 1804).

Néanmoins, le concept lui-même remonte à 1876 de l’arret Canal de Craponne. Dans cette affaire, la Cour de cassation a en effet rejeté la révision des contrats pour l’imprévision et a confirmé la force obligatoire du contrat.

Cela a changé avec la réforme de 2016, et il y a maintenant certaines conditions à remplir qui permettraient une révision des termes commerciales du contrat à la suite d’un changement de circonstances qui ne pouvait être prévu au moment de sa formation. En l’absence de force majeure pouvant s’appliquer à votre contrat, cela pourrait être un moyen de rectifier toute clause contractuelle devenue déraisonnablement onéreuse en raison des effets du coronavirus.

Par exemple, alors que le gouvernement français n’a pas interdit aux détaillants en ligne de poursuivre leur activité, il a suggéré que seuls les articles essentiels soient vendus. Comme il ne s’agit que d’une suggestion, les entreprises touchées par le climat économique actuel ne pourront pas compter sur leurs assurances pour obtenir un certain soulagement financier, comme c’est le cas pour les consommateurs individuels dans l’industrie aéronautique.

Comment invoquer une révision pour cause d’imprévision ?

Le régime de l’imprévision est régis par l’article 1195 du Code civil, qui prévoit que : 

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant.  »

Les trois conditions principales sont donc les suivantes : 

  1. Un changement de circonstances qui était imprévisible au moment de la conclusion du contrat;

  2. Ce changement de circonstances rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie; et 

  3. Cette partie n’a pas accepté contractuellement de supporter les risques d’un tel changement de circonstances.

Les circonstances actuelles relatives au Covid-19 constitueraient très certainement un changement imprévisible aux sens de l’article, et il ne fait aucun doute que de nombreuses entreprises ont désormais des obligations contractuelles indûment lourdes.

En plus, si les négociations entre les parties n’aboutissent pas, il y a toujours la possibilité de recourir à un juge pour réviser les termes commerciaux du contrat (cependant, il faut être prudent car la plupart des tribunaux en France sont actuellement fermés pour des litiges non essentiels) :

« En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Mais, il faut encore faire attention aux termes du contrat signé entre les parties. Si cet article 1195 du Code civil a été expressément exclu du champ d’application du contrat, aucune des parties ne peut l’invoquer, quelles que soit les conditions réelles et commerciales.

En outre, comme indiqué ci-dessus, le régime français de l’imprévision ne s’appliquerait qu’aux contrats régis par le droit français, y compris pour les entreprises et les clients basés en France. Aussi, l’imprévision n’ayant été ajoutée au Code civil qu’en 2016, son régime ne pourra s’appliquer aux contrats datant d’avant le 1er octobre 2016 (sous réserve de révisions éventuelles).

Conclusion

Comme l’on a pu constaté, il n’est pas certain que tous les accords en matière d’e-commerce seront concernés par l’imprévision. Il faut étudier les dispositions du contrat concerné afin de déterminer si l’article 1195 a été expressément éxclu du contrat, ou alors si le contrat a été conclu avant l’entrée en vigueur du nouveau Code civil.

Dans ce contexte si particulier, il est évident que l’e-commerce reste un outil très important en ce moment, et que certaines entreprises en ligne peuvent en prospérer sachant que la concurrence classique des centres commerciaux et des magasins traditionnels n’existe plus pour le moment. Néanmoins, sur le plan économique en ce moment, les détaillants en ligne ne sont pas à l’abri et la question de savoir si les contrats d’e-commerce pourront être réexaminés en vertu de l’article 1195 du nouveau Code civil est susceptible d’avoir un impact sur de nombreux acteurs.

« Ce n’est pas seulement les propriétaires des sites web ou les fournisseur des solutions d’e-commerce qui seront concernée par l’imprécision : les marques qui placent des produits sur les marchés en ligne (online marketplaces), ainsi que les entreprises technologiques qui fournissent des analyses en ligne (web analytics) et des cookies de marketing web - seront également touchés si les dispositions commerciale de la relation contractuelle font l’objet d’une révision par un juge. »

Si vous avez des questions sur vos obligations en matière d’e-commerce pendant la période de Covid-19, n’hésitez pas à nous contacter.

Article rédigé par Anaïs Crémas et Komal Shemar @ Gerrish Legal, initialement paru sur le site Village de la Justice, en avril 2020.

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